échappée belle au bout du fleuve
Toute forme en friche ou en troupeau, emmitouflés comme des
pauvres dans leur sommeil mal rapiécé – « non, ce n’était pas nous », espérerait-on
souvent et perméables malgré l’adjuration – nous guettions la goutte d’huile ou
le grain d’or chacun sur son petit bout de berge, sans oser le noir là-outre (encore
qu’à peine) où l’avenir rongeait son frein. La profondeur n’étant alors qu’une
touche froide au fond des trous dans nos sabots, c’était la seule séparation
sur terre. Le seul mystère. Nos cœurs – caries de chairs et précipices nerveux
– devinaient-ils ce que noyaient la bourbe, le flot figé ? On dit que la vie est
bien de chez nous... Si ce Saint-Laurent-des-rêves-et-levures demeurait ainsi étang,
c’était par la seule force des trêves qui s’ignorent. Mais une portée remuait
dans la retenue (derrière l’acné) des temps, âpre et morale comme une
constellation. J’écris ici pour révéler
que c’est encore toi qu’on relâcha. Que happée par la bordure du monde, c’est
toi qui découvris l’espace et ses distances brutales. T’es-tu versée longtemps pour
que quelqu’un (était-ce moi ?) puisse remonter à toi ? As-tu saigné les heures promises
(et toutes les lieues de nos légendes) ? Parce que la lune annonce le jour, les
eaux se sont mises à couler, toutes pleines de toi (et ce pétale de rose
trémière qui sombre au fond de tes prunelles). Quelqu’un dit-on te cherche encore
dans la rougeur des vagues ou de l’éclipse. Qu’en savons-nous ? La nuit est un
silence où tu nous manques jusqu’à mourir.
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Ivan Marchuk, Boundlessness (1984) |
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