scène conjugale

Tu me laisses pas le temps de revenir au monde.

« Y a un blanc dans tes yeux quand tu me regardes. Ça fait des mois maintenant. L’as-tu remarqué ? »

Je te trouve dure de me dire ça quand je me lève le matin. De me dire ça non pas en vue de tester les eaux (le fond d’ombre et de vase sous la vitre de mon lac au soleil c’est pas toi qui s’y noie doucement). De me dire ça pas plus afin que je te répète comme irrité l’une de nos preuves-à-nous l’un de ces petits contraires que je t’invente et qu’il te faut parfois – au gré d’un temps qui fait sans donner l’heure – pour me sentir assez présent pour toi. De me dire ça pas même comme un reproche (je sais je m’envole souvent mais les ailes ne sont pas à moi tu es bien placée pour le savoir).

Non tu me dis ça comme on regarde par la fenêtre une pelle neuve plantée dans le banc de neige – une pelle oubliée là depuis que l’auto-qui-ne-reviendra-pas se sera déprise en un dernier ahan – une pelle affligée là et que la déneigeuse municipale viendra broyer demain (en même temps que l’interdit de stationner dont le jaune tout près branle dans le vent). Tu me dis ça comme une trouvaille une anecdote intéressante dans le voisinage de mon regard. Et ça je trouve ça dur.

« C’est pas un blanc c’est un fond de lumière je crois que c’est la tienne oui que c’est toi même si c’est vrai que ton visage commence de plus en plus à s’en aller ton beau visage lointain au corps qui cache tout ce qu’il porte (tu sais combien je remarque mal comme tu t’habilles). Je pense qu’on ne bouge plus assez d’ici que ça fait trop de mois qu’on a perdu le sens de notre marche. Je pense que mes nerfs optiques – comment savoir ce qui m’appartient ? – que le cortex commence à te prendre pour le fond indistinct de toute chose. »

Ce que je dis pas encore c’est que tes bois (il n’y a que moi qui ait vu fleurir aux soudures de ton front) tes beaux bois de biche abandonnée (une qualité qu’on peine encore à acquérir) élèvent maintenant au ciel un panache clair et souverain où chaque fourche enfle d’un brun subtil le blanc éteint du ciel.

Mais je sais que tu m’entends le penser.


Laura Makabresku (avril 2023)


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