burnout

depuis que le voisinage est parti en fumée on se lâche lousse dans les logements abandonnés on rentre partout on a la permission toutes les portes sont débarrées et il y a toujours welcome d’écrit au doigt sur les vitres extérieures (nos buées ne mentent pas) 

on ne touche à rien on entre seulement pour ressentir un peu le creux des corps passés sur les fauteuils on pose nos fesses sur le souvenir discret de l’existence d’autrui on ne reste jamais longtemps l’odeur de pourrissement nous semble de moins en moins morale on tient à rester propres c’est pour ça qu’on ne touche à rien sauf pour la fois où on a pris un bain au lait de chèvre chaud dans notre première baignoire king size ça s’est caillé immédiatement sur nous et on a dû passer deux jours sous les lapements des chats qui s’étaient mis à nous grimper dessus

on ne pique à peu près rien non plus sinon les trucs asiatiques (qui aurait cru que le Japon était si Big in Montreal ?) c’est notre péché mignon tellement que le mois dernier on a tenté d’inaugurer une exposition de quartier c’était intitulé Soleil levant sur la Petite Patrie on avait tout classé (mangas, baguettes, ceintures de karaté) tout présenté avec de beaux haïku explicatifs (sauce soya claire / meilleure avant 2020 / sueur onctueuse) tout déposé sur les tréteaux de la Place Boyer mais comme personne n’est venu nous voir on a mis le feu à notre bazar de toute façon l'idée ne venait pas de nous mais d’Amaterasu (ça c’est le nom de l’érable du japon qu’on a ramené chez nous tellement il commençait à faire pitié tout seul dans sa trop grande cour à condos déserte)

on l’a planté sur le plancher de la chambre au-dessus de la nôtre celle d’une enfant à moi dont j’oublie le nom mais l’arbre nous aide justement à nous souvenir on dort en-dessous de lui on dort debout comme des pantins dans les histoires de ses racines elles s’insinuent en nous elles passent dans nos veines c’est un échange à l’amiable ça donne un rouge un peu plus épeurant à ses petites feuilles trop symétriques et nous on redevient parfois capables de nous souvenir d’ailleurs dans le temps ça doit être l’effet de la sève et de nos sangs mêlés comme hier soir quand tu t’es mise à hurler Karōshi ! Karōshi ! en gigotant comme une possédée je me suis rappelé soudain sans savoir d’où ça me venait que ça s’écrivait 過労 et que ça voulait dire mort de surmenage je ne sais pas pourquoi ça m’a rendu si triste mais j’ai songé à tous nos proches disparus et sous chaque visage qui est apparu soudain comme un portrait retrouvé dedans ma tête il y avait toujours la même légende inexplicable Karōshi ! Karōshi ! Karōshi ! Karōshi !


Takashi Murakami, Of Chinese Lions, Peonies, Skull and Fountains (2012)


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