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Affichage des articles du mars, 2022

chroniques mercuriennes 7 - l'ombre de Vulcain

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J’ignore pourquoi Sophie est venue se perdre ici. Parfois je rêve à elle, encore charnelle et éthérique. Encore terrestre. Je nous retrouve alors tous deux en train de marcher ensemble, en Islande je crois, au c œur   d’un paysage de feu et de glace, de terre et de ciel. Un paysage sublime et qui passera pourtant peut-être pour désolé auprès de qui n’a pas comme elle et moi été marqué au fer de la gratitude par la surface incandescente et à jamais stérile de Mercure. On prend aisément la vie sur Terre pour acquis. Mais du point de vue de l’explorateur extraterrestre qu’on imaginerait venu chercher des signes de vie sur cette île ressemblant vaguement à une petite lune au nord de l’Atlantique, sous l’azur déjà rassurant d’un ciel si mince et si miraculeusement propice, le paysage islandais le plus désert cache bien mal une vie fermement implantée dans le vert tendre et moussu du plus petit fragment de pierre volcanique, une vie grouillante et orgiaque jusque dans l’invisible rou...

idylle cinétique

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depuis que je t’ai retrouvée toi qui poussais en mauvaise herbe dans le nid de poule de mes onze ans je me pousse aussi boisé que l’air dans tes chuchots je suis ta trace jumelle sur la garnotte de nos étés gommés de caoutchouc – nous sommes l’essieu vert du monde tout tourne autour de toi et moi et nous ça fait trois maintenant que rien d’autre ne compte je fonds l’un le deux je nous virevolte par quatre chemins et toi tu nous chavires sans toit ni loi sous le tremble dérouillé – nous sommes deux étoiles en cuiller dans le tournis d’une balançoire à pneu on déjoue le poids on se renverse la tête puis on attend que le haut le bas vacillent que la terre vire soudain plafond que le territoire se pende pour tournoyer comme un mobile immense au-dessus du vide blanc et bleu où rien ne tombe – resterons-nous longtemps tout seuls dans ce vertige ? Alexander Calder, Laocoön (1947)

chroniques mercuriennes 6 - les amants hermétiques

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Ryota Kajita,  Frozen bubbles #26  (2014-2018) – Il faut que je te montre de quoi. C’est Sophie qui revient de son excursion au cratère Prokofiev. Elle a l’air troublé, les yeux humides, mais je la connais assez pour ne pas lui montrer que je m’en rends compte. – Tu as trouvé quelque chose ? – Si on peut parler de chose … Il y a un étang congelé là-bas. Et dans l’étang il y a un, ou plutôt… il vaudrait mieux que tu ailles constater toi-même. Je l’ai déjà mentionné, je n’aime pas me déplacer sur Mercure. Je suis malhabile. Je parviens mal à visualiser mon corps et mon environnement. Et même si on fait ici seulement 38% de notre poids terrestre, comme il faut parcourir plus d’une centaine de kilomètres pour parvenir à la seule extrémité d’un cratère faisant lui-même 56 kilomètres de rayon, j’ai peur de me fatiguer en chemin, d’épuiser le peu d’attention que j'arrive à canaliser ici, de finir par trébucher en tentant maladroitement de descendre une paroi rocheuse abrupte....

l'amour à l'ère du trou noir

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on s’aime aux noyaux comme des restants de sacrifices on se presse de plus en plus fort l’un contre l’autre on se réchauffe le rayonnement fossile à la culasse de nos congères d’émois on se traverse comme des murs mitoyens nos parois sont fantômes on sort tout blancs l’un de l’autre baveux d’or mort et d’ectoplasme ensuite on se fait racler les épidermes ça coûte seulement deux huards la paire coin Papineau et Ontario on est remplis d’oiseaux gratuits dans l’empaillé de nos dedans d’oiseaux qui se rongent le frein lingual – que les sangs chantent mais ça déchire dès qu’on se frenche les os tout nous suce l’un à l’autre tant l’imminence de nos corps fondus en un bée dans sa belle masse Man Ray, sans titre, argentique sur gélatine (1929)