chroniques mercuriennes 2 – la méditation pour les nuls

Ne sois pas trop déçue – Sophie, mon amie mercurienne, me demande ici de m'adresser à toi au féminin – et ne t'en fais pas trop si tu n’es pas parvenue à courir comme du monde sur la surface imaginale de la planète la plus ensoleillée de notre système solaire. Ou si de mauvais calculs t’ont fait perdre la maîtrise de tes centres gravitationnel et astral pour t’envoyer rebondir un peu trop haut en tournoyant tout croche dans un ciel basculant par alternances incontrôlables entre le noir absolu et la plus pure incandescence. Tu auras forcément eu des doutes. Tu te seras demandé s’il fallait ou non revêtir une combinaison spatiale. Tu auras cherché, trouvé des failles dans ma vulgarisation scientifique. L’espace réel n’étant pas un lieu propice à la réalisation de projets conçus par les dilettantes ou autres amateurs de mon espèce, il ne fait aucun doute que j’ai commis quelques erreurs. Avouons aussi d’emblée que je suis moi-même plutôt médiocre à ce jeu de haute voltige. Plutôt que perdre mon souffle et mes repères spatio-temporels le long de l’équateur mercurien, je préfère de loin m’asseoir bien tranquillement sur le pôle nord, pas trop loin des cratères Tolkien et Kandinsky, véritables sanctuaires pendant les éruptions solaires. Tout devient alors bien plus tranquille. Malgré sa fulgurante proximité, le soleil se révèle fabuleusement moins intimidant une fois réduit en un doux hémisphère par cet horizon contre lequel il glisse imperceptiblement, en dodelinant à peine. J’aime m’asseoir sur Mercure. On pourrait même dire que cette planète est mon siège de méditation préféré. Je n’ai bien sûr pas toujours médité ainsi. Non, j’ai longtemps fais cela de façon plutôt minimaliste, couché sur le dos dans mon lit, dans une chambre bien froide, sous de lourdes couvertures. Une telle posture semblera peu orthodoxe, plus propice à la rêverie qu’à l’Éveil. Je dirai pour me justifier un peu qu’en matière de vie intérieure, j’ai toujours été un incorrigible autodidacte, et je me vanterai même en ajoutant ici que j’ai tout de même inventé la méditation tout seul et sans aide, bien avant que l’occident en fasse une pratique innovante d’hygiène mentale et professionnelle. Je devais avoir treize ou quatorze ans. Élevé dans un fervent catholicisme que mon indignation morale et scientifique venait tout juste d’enterrer sans trop de cérémonie, je ne connaissais encore rien au zazen ou à ces autres techniques approuvées par la plus vénérable élite bouddhique ou yogique. Non, mais comme tout adolescent ayant un peu le vague à l’âme – et plus généralement comme quiconque sait encore ou déjà apprécier la pêche à la ligne au bord du gouffre – je me demandais tout simplement ce que cela pouvait faire de mourir. Le mystère était apparemment aussi ancien qu’insondable, mais pour un instant touchant de candeur et de présomption, plutôt que de me contenter comme n'importe quel autre adolescent de contempler ma mort de l’extérieur tout en jouissant dans mon apitoiement du deuil imaginaire de mes parents, j’ai mis au point une méthode expérimentale qui me paraissait assez fiable pour pénétrer ce mystère de l’intérieur. L’idée était simple : si je me couchais dans le noir et que je demeurais immobile assez longtemps pour ne plus sentir mon corps ou mon environnement, si du même coup j’arrêtais de penser ou d’éprouver quoi que soit, ce qui resterait de vécu, ce serait forcément l’expérience de la mort. Je ne crois pas que le raisonnement tenait la route, mais j’ai tout de même essayé. Au début je perdais bien sûr assez souvent le fil, ou je me grattais à tout bout de champ parce que soudain tout me piquait de partout, c’était presque plus dur que de ne pas penser. Mais un beau soir, après quarante minutes d’immobilité, de concentration et d’abandon, j’ai connu pour un instant le grand vertige de n'être plus rien. Ma méthode avait fonctionné, j’étais désormais une sorte de revenant, de flatliner. Je ne peux rendre compte pour le prouver d’aucune illumination originale et digne d’être transmise à notre humanité en quête de sens. Je sais seulement que depuis ce vertige, je vis en compagnie d’évidences aussi muettes que mystérieuses. L’enfant spontanément solaire et agréable que j’avais presque toujours été s’était soudain métamorphosé en un monstrueux insecte n’arrivant plus sans d’immenses efforts à rien faire comme du monde.

Pôle nord de Mercure
                                


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